IKE NO TAIGA

IKE NO TAIGA
IKE NO TAIGA

L’école chinoise, connue au Japon sous le nom de Bunjin-ga ou Nanga, régénère la peinture de paysage au XVIIIe siècle. Et Ike no Taiga s’en fait l’un des interprètes les plus personnels.

Bien que les termes Bunjin-ga («peinture des Lettrés») et Nanga («peinture du Sud») ne soient pas synonymes à l’origine – l’un exprimant une attitude intellectuelle du peintre, l’autre désignant un style et une technique –, ils vont se confondre avec le temps pour dénommer une seule et même école, tant en Chine qu’au Japon. Mais l’examen attentif de l’œuvre de Taiga oblige à réintroduire la nuance subtile existant entre les deux termes. En effet, bien que peintre professionnel, Taiga manifeste l’esprit des premiers peintres amateurs et lettrés chinois par son refus des académismes, son invention féconde et sa liberté d’expression, tout en prenant du champ à l’égard du code Nanga, lequel poétise la nature et l’idéalise par un jeu délié de lignes souples et fines.

Alors que les premiers adeptes japonais du mouvement Nanga n’avaient pu se libérer de l’imitation des modèles chinois, Ike no Taiga donne à cette école un caractère profondément national par l’émotion lyrique, l’effet décoratif, les raffinements techniques du dessin et du coloris, tous éléments foncièrement japonais.

À l’école des calligraphes et des peintres Nanga

Ike no Taiga naquit, près de Ky 拏to, d’une famille assez simple, qui lui assura néanmoins une éducation très soignée dès sa prime jeunesse. Comme l’enfant avait révélé ses dons à l’âge de trois ans en réalisant une calligraphie remarquable (conservée jusqu’à nos jours), sa formation de calligraphe fut précocement confiée à des moines lettrés. Il reste, d’ailleurs, l’un des calligraphes les plus représentatifs de la période Edo (1615-1868). Ses dons exceptionnels dans cette discipline eurent, semble-t-il, une incidence sur son œuvre de peintre: ils pourraient expliquer cette aisance toute particulière dans des styles fort différents. Que la ligne ou le cerne – ossature de ses compositions – soient traités avec souplesse ou nervosité, tous deux gardent toujours la force d’un trait calligraphique.

Tosa Mitsunobu (1700-1772) passe pour lui avoir donné sa première initiation de peintre. Mais son vrai maître fut le Hasshu gafu (les Huit Albums de peinture ), recueil de peintures chinoises de l’époque Ming. C’est là qu’il découvrit l’esthétique Nanga dont il apprit les secrets à quinze ans, chez Yanagisawa Kien (1704-1758), l’un des premiers adeptes japonais du mouvement.

L’assimilation de l’héritage chinois et japonais

Si beaucoup de ses œuvres de jeunesse sont de vraies peintures Nanga, tel le rouleau du Rakushiron-zu (Peinture du traité du divertissement ) de 1750, nombre d’autres démentent cette formation. Ainsi, les deux plus anciennes peintures que l’on connaisse de Taiga répondent à d’autres courants chinois et offrent de telles différences entre elles qu’on pourrait douter – à tort d’ailleurs – qu’elles soient de la même main. Elles datent toutes deux de 1744: or, l’une, Ij 拏ry shoku-zu (Paysage d’Ij 拏), est caractérisée par une écriture nerveuse et soignée, de lignes très fines et plutôt sèches; l’autre, Kizanbakufu-zu (Cascade de Minoo ), révèle, en traits fermes, souples et largement brossés, la vigueur du geste.

Ike no Taiga aurait appris de Yanagisawa Kien le shito-ga (technique de peinture au doigt, où les doigts, les ongles et jusqu’à la paume de la main se substituent au pinceau), très en vogue en Chine à l’époque Qing. Taiga semble avoir recouru à cette technique pour forcer l’attention de ses contemporains, et il y mit tant de virtuosité et de spontanéité qu’il obtint ainsi une grande réputation dès sa jeunesse. Il pratiqua le shito-ga très fréquemment jusqu’au seuil de la trentaine, produisant certaines œuvres très remarquables, pour l’abandonner progressivement par la suite; aussi la grande composition Gohyaku rakan-zu (Les Cinq Cents Arhats ), faite après 1760 sur les fusuma (portes à glissière) du Mampuku-ji de Ky 拏to, apparaît-elle comme exceptionnelle dans la production de ses quarante ans.

On trouve donc une composante chinoise dans l’art de Taiga, mais aussi une composante nationale: l’œuvre reflète, en effet, une étude poussée du paysage monochrome japonais de la période Muromachi, qui s’inspire de la tendance chinoise de l’école du Nord et du style décoratif propre à l’école S 拏tatsu-K 拏rin. De cette dernière, Taiga retint surtout la technique du tarashikomi (effet très spécial de lavis obtenu par application d’une couche de couleur sur une autre encore humide), qu’il utilisa fréquemment dans ses monochromes et même dans ses peintures au doigt. Et des effets décoratifs, propres à l’école Rimpa, se retrouvent aussi dans de grandes compositions à fond d’or, rehaussées de touches vives, comme dans R 拏kaku sansui-zu (Paysage aux pavillons ), paire de paravents exécutée vers 1760-1770.

Un réalisme puisé dans la nature et dans l’art occidental

Peu d’artistes ont autant voyagé que Taiga. Dès 1746, il parcourut le pays, faisant même l’ascension de montagnes célèbres, dans son désir d’une compréhension intime du paysage par l’étude directe de la nature. À ce contact, il élabora une conception de l’espace pictural tout à fait personnelle et une expression réaliste que l’on trouve, par exemple, dans Asamayama shinkei-zu (Vue réelle du mont Asama ) de 1750. Mais, à l’encontre de l’école Maruyama qui s’efforce de saisir l’essentiel des objets dans leur apparence extérieure, Taiga cherche à pénétrer l’âme d’un paysage. Aussi sa vision, qui procède de la connaissance et de l’expérience réelles, est-elle hautement impressionniste, comme dans Ringai b 拏ko-zu (Vue du lac Shinji , 1750 env.).

La révélation de la peinture occidentale qu’eut le jeune artiste en 1748 vint renforcer son sens de la composition, ainsi que ses préoccupations réalistes, sa vision stéréoscopique, ses effets de lumière. Mais cette forte influence occidentale, que Taiga éprouva en la décantant, personnalisa son style sans lui enlever son caractère proprement oriental.

Jailli de la tradition Nanga, l’art de Taiga sut en franchir les conventions et les limites. Son œuvre, dont on peut encore dans la production des années 1720-1735 isoler les diverses influences, apparaît après 1760 comme une synthèse magistrale, étonnamment diversifiée. Les productions de la maturité éblouissent par leur force et leur souplesse, les effets étrangement colorés du monochrome, leur composition parfaite, tel Sansui jimbutsu-zu (Paysage et personnages ) décorant des fusuma du Hensh 拏k 拏-in, monastère du mont K 拏yasan.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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